« Vouloir restreindre l’aviation de loisir, et à travers elle l’ensemble des sports aériens, est tout sauf une bonne idée. »
La médiatisation de la décision de la mairie de Poitiers de supprimer les aides aux aéroclubs et les très vives réactions qu’elle a pu susciter, et pas seulement au sein de la communauté aéronautique, nous poussent, nous, utilisateurs d’un aérodrome dans nos différentes activités, clubs avions, parachutisme et vol à voile, à nous interroger sur une logique de restriction de l’aviation de loisir au motif qu’elle ne serait pas vertueuse ni écologique. Un peu de réflexion loin des réactions épidermiques à chaud et des polémiques semble opportune.
Prenons l’exemple de notre magnifique aérodrome historique du Polygone à Strasbourg. En regardant une vue satellitaire de Strasbourg nous remarquons la présence d’une belle tâche verte, en bas à droite entre la zone portuaire du Rhin et les Quartiers du Neudorf et du Neuhof. Cette tâche verte représente 65 hectares de prairie naturelle et la présence de deux pistes en herbes confirme bien qu’il s’agit d’un aérodrome. Cette zone serait-elle toujours une prairie naturelle si elle n’avait pas été utilisée depuis plus d’un siècle par l’aviation ? (Notons pour ceux qui ne le savent pas, qu’Antoine de Saint-Exupéry y a appris à piloter en 1921.)
La réponse est évidemment non.
Compte tenu de la pression foncière que connaissent nos métropoles gageons qu’elle aurait depuis bien longtemps suivi le sort des autres prairies de l’Eurométropole à savoir sa disparition pure et simple à travers son urbanisation ou son exploitation en terre agricole.
Le maintien de cette prairie est d’autant plus bénéfique qu’il est maintenant démontré, notamment par le travail effectué par l’association aérobiodiversité (1), que les aérodromes sont de magnifiques réservoirs de biodiversité animale et végétale. Les contraintes d’usages font qu’ils restent à l’état naturel, leurs prairies ne sont pas piétinées et ne reçoivent pas d’activités agricoles utilisatrices d’engrais et de produits phytosanitaires. Lorsqu’ils sont aussi proches des villes, comme c’est le cas à Strasbourg, les aérodromes jouent un rôle majeur et indispensable dans la lutte contre les îlots de chaleur. Des études menées il y a déjà plus de vingt ans, notamment par Laurent Fischer, Président de l’Aéroclub d’Alsace, Géographe physicien – Climatologue et Ingénieur en environnement démontraient déjà toute l’importance que revêtent les étendues naturelles végétalisées pour le bien-être et le confort urbain à Strasbourg. L’entretien, la gestion et la surveillance de ce véritable poumon vert est assurée par les associations basées et ceci à moindre frais pour la collectivité.
On pourra toujours nous opposer que l’avion pollue. Certes, il consomme du carburant mais un rapide calcul fait apparaitre que cet impact reste négligeable si l’on compare à celui des véhicules circulant dans un quartier résidentiel d’une même surface que l’aérodrome. Nous serions dans un rapport d’un pour quatre. Et c’est également méconnaitre les progrès fulgurants que connaît l’électrification de l’aviation légère depuis plusieurs années (2). L’avion électrique de conception slovène, le Velis Electro, a été certifié le 10 juin 2020 et commence à être utilisé pour l’instruction dans quelques clubs. Nous avons également publié sur notre site de l’ATAP un travail documentaire réalisé par l’association Polygone 67 sur l’ensemble des projets d’avions électriques.
Le mouvement est enclenché et rien ne l’arrêtera, ce qui réglera aussi le problème des nuisances sonores qui est déjà pris en considération dans l’élaboration des circuits d’approche et dans les plans de vol. Si l’on ajoute à ce bilan l’immense travail effectué par les associations depuis maintenant plus d’un siècle pour partager leurs passions, le Polygone fait partie de l’histoire de la ville. Il a vu émerger plusieurs champions du monde dans l’ensemble des disciplines qui s’y pratiquent ; bon nombre de jeunes pilotes ont pu accéder aux métiers de l’aéronautique et intégrer les plus grandes écoles civiles et militaires ; des dizaines de jeunes viennent découvrir chaque année ces activités et tout ce qu’elles peuvent apporter dans leur épanouissement personnel. Des familles viennent chaque week-end accompagner leurs proches pour des sauts « découverte du parachutisme en tandem », des vols d’initiation en avion ou en planeur. Plus de mille deux cents tandems y sont effectués chaque année par le centre école de parachutisme.
On s’aperçoit en réalité que ce débat relève plus des idées reçues que d’une véritable réflexion. Absolument rien n’oppose l’écologie à l’aviation de loisir et de manière plus générale aux sports aériens. Les collectivités auraient même un grand intérêt à intégrer les aérodromes à leurs trames vertes, (comme c’est devenu le cas pour la Ville de Niort(3)) et à aider les associations à les entretenir et à les accompagner dans la transition vers l’aviation décarbonée. Nous ne pouvons que nous féliciter que l’aérodrome du Polygone a toujours été soutenu par la collectivité même si nous attendons encore l’application du projet de restructuration voté à l’unanimité en 2013 par le conseil de CUS. Il permettrait définitivement de pérenniser ce poumon vert pour la ville qu’est le Polygone et d’éviter toute urbanisation du site.
Alban SCHWAB Président de l’ATAP
Laurent Fischer Président de l’Aéroclub d’Alsace
Pierre Burcklé Secrétaire de L’ATAP
(1) https://aerobiodiversite.org/
(2) http://psk.blog.24heures.ch/archive/2020/05/29/premier-vol-d-un-cessna-208b-a-moteur-electrique%C2%A0-869281.html
(3) https://www.vivre-a-niort.com/actualites/dernieres-infos/preserver-la-biodiversite-de-laerodrome-5628/index.html